LE SACRE DU PRINTEMPS – SHE SHE POP – LES ABBESSES

Dans Testament, il y a quelques années, les She She Pop avaient invité leurs pères sur scène, les vrais, pour une réécriture très personnelle du Roi Lear.  Cette fois, ils invitent leurs mères à travers le médium de la vidéo pour un Sacre du Printemps, mais surtout un sacre de la femme, un peu ésotérique, mais étonnement populaire qui se veut une réflexion sur le sacrifice de la mère…

Après Angelicca Liddell qui nous crachait au visage son profond mépris pour le « supplément de dignité » accordé aux mères, les She She Pop, bien que moins agressifs, dépeignent les travers de la relation mère enfant. Avec comme support l’oeuvre de Stravinski, Le Sacre du Printemps, déjà mis en scène par les chorégraphes les plus notables dont Pina Bausch et Maurice Béjart, le collectif s’attaque à une pièce d’anthologie dont il prend le contre-pied. Nullement chorégraphes, les She She Pop utilisent cette partition comme un matériau pour raconter leur propre histoire, dans une chorégraphie théâtrale qui va rarement au bout des choses. Par moment on sent une tentative de composition d’une partition corporelle (intéressante) à partir de vieilles photos, mais elle est vite avortée. Malheureusement on sent trop souvent que la musique n’est plus qu’un matériau dont le sens premier est amené ailleurs, par la force, pour un résultat bancal, parfois incohérent.

Là où en revanche les She She Pop excellent, c’est dans l’utilisation de la vidéo. Quatre écrans, quatre comédiens, quatre femmes, plus âgées qui s’installent sur chacun des écrans. Ces quatre jeunes acteurs font face aux mères devenues des personnages écraniques, modulables, dont ils gardent le contrôle. A travers des danses régressives dans des couvertures et des jeux de superpositions d’images filmées, c’est tout un fantasme d’un retour à l’enfance qui s’opère.Les quatre mères à l’écran semblent s’amuser de cette mise en scène dont elles ne semblent pas toujours comprendre le sens, mais s’exécutent sous les ordres de leurs enfants. C’est dans cette imperceptible nuance du jeu que la relation mère enfant apparait le plus, dans cette acceptation de la mère à être mise en scène dans son propre rôle par son enfant, bien plus que dans les textes, pourtant très bien écrits.

Au final c’est un sacr(ific)e de la mère auquel les She She Pop nous proposent d’assister. Un sacrifice d’amour et de haine assumé, sans retenue, sans pudeur, très enfantin, assez émouvant, mais sans grand lien avec l’oeuvre de Stravinski presque anecdotique, dans une mise en scène autonome.

photo : Dorothea Tuch

LUCRÈCE BORGIA – DAVID BOBÉE – MAC

Le spectacle commence avec un ballet des cintres du théâtre qui montent et se croisent entrainant avec eux projecteurs et le BORGIA en lettres lumineuses. Déjà on reconnait la patte de David Bobée, un créateur d’effets avec les éléments que lui offre la scène. Le spectacle est fait de cette capacité à transformer les éléments théâtraux : un rideau noir trempé devient un rideau de pluie, des praticables amovibles dessinent des chemins tortueux qui deviendront tombeaux et une façade de projecteurs semble devenir tour à tour Palais et porte de l’Enfer. Il est pour moi un bricoleur de l’effet tant, il me semble, les images qu’ils proposent ont une force inversement proportionnelle à la complexité de leur réalisation. Un simple projecteur à contre jour dans la pénombre de la scène et Béatrice Dalle semble sortir du Palais des enfers, un simple drap noir tiré dans l’eau et c’est l’empreinte d’une mère absente qui apparait.

Là où Bobée donne réellement sa vision de Lucrèce Borgia, c’est dans l’utilisation de cette scène tout en eau, qui, au moindre mouvement, au moindre cri trop élevé, frémit comme un miroir des émotions. Et quand les émotions sont trop fortes, les éléments se déchainent et l’eau devient tempête, agitée par les comédiens. Cette eau, c’est la même qu’ils boivent, dans des bouteilles de vins, lors d’une soirée chez La Negroni et qui les empoisonne. L’eau de la terre de Lucrèce Borgia.

La verdeur du jeu des jeunes acteurs n’est pas dérangeante, comme j’ai pu parfois le lire. Au contraire, ils insufflent une dynamique et une fraicheur au texte que les acteurs classiques ont souvent du mal à retrouver. En tête de ligne, Pierre Cartonnet qui n’en est pas à son premier coup d’essai avec le metteur en scène. Déjà présent dans Roméo et Juliette et Hamlet, le jeune acteur se montre très convaincant, et extrêmement touchant dans son monologue chorégraphique de la colère. Jérôme Bidaux fait partie des acteurs plus expérimentés, et son jeu très théâtral, sa diction de maître de cérémonie, nous captivent : impossible d’échapper à une seule de ses paroles. Catherine Dewitt (La Negroni) attire toute l’attention sur elle dès l’instant où elle entre en scène dans sa robe du soir noire à paillettes. Le conte de La Negroni est un des moments forts du spectacle, un texte merveilleusement bien porté par une comédienne pleine de charme.

Une déception cependant, Lucrèce Borgia, incarnée par Béatrice Dalle. Une entrée en scène que j’attendais fracassante, passe presque inaperçue. Quelques moments d’émotion comme la lecture de la lettre, mais un manque de justesse sur de nombreuses scènes.

Il m’est difficile d’être objectif face à une nouvelle mise en scène de David Bobée tant j’apprécie son travail. Pourtant je dois reconnaitre que cette mise en scène de Lucrèce Borgia, que j’encense sur de nombreux points, manquait d’un petit quelque chose pour m’emporter. Ce petit quelque chose, malheureusement, c’était la femme, Lucrèce Borgia.

Photo : Arnaud Bertereau / Agence Mona

STRAIGHT WHITE MEN – YOUNG JEAN LEE – CENTRE POMPIDOU

À quelques minutes du début de la pièce, alors que le décor est éclairé, j’entends une spectatrice se plaindre : « Le décors est très réaliste, ça m’inquiète beaucoup. » Sans doute parce que depuis quelques années, le réalisme, le vraisemblable au théâtre rappelle un théâtre bourgeois passé, rappelle aussi certaines mises en scène où le réalisme est utilisé par défaut, parce que le metteur en scène ne sait pas faire autrement. Mais dès les premières minutes, voilà ma spectatrice rassurée « Cette pièce fait appel au procédé du 4ème mur. […] le spectateur est amené à participer à la pièce en s’identifiant aux personnages qui vont être présentés. »

Young Jean Lee sait à quel genre elle s’attaque avec cette pièce « traditionnelle linéaire » en trois actes. Elle questionne la forme de ce genre de spectacle qui a longtemps été le théâtre du héro masculin, blanc, hétérosexuel. Elle pousse les codes du genre jusqu’à ne mettre en scène que des personnages masculins, blancs, hétérosexuels dans un décors qui semble sorti d’une Sitcom américaine : canapé au centre, couloir en fond de scène qui mène aux autres pièces de la maison, fenêtre à jardin, entrée à cours.

Entre les trois actes, la mise en place de la scène suivante par les techniciens se fait à vue. Tout est fait dans les moindres détails, de façon très cinématographique : ajout d’une couverture froissée sur le bord du canapé, retrait du manteau d’un des personnages de la penderie, mise en place des chaussures dans l’entrée selon qui est présent ou non dans la maison. Les ellipses temporelles entre les actes semblent prendre vie, parce que tous ces indices nous renseignent sur ce qui s’est passé.

La pièce est un huis clos, quatre hommes, un père et ses trois fils sont réunis pour le réveillon de Noël. Comme toutes les réunions de famille, le repas est propice aux confidences, aux aveux. Le père enfermé dans une nostalgie des Noël passés tente de reconstituer avec ses trois fils d’une quarantaine d’années les moments de bonheur en famille vécus : réveillon habillé en pyjamas, assis à quatre dans le canapé, devenu aujourd’hui bien trop petit pour accueillir les trois enfants devenus adultes. Dans ce conte de Noël familliale, le mal être d’un des fils, Matt, va amener tous les personnages à réfléchir sur leur conditions, sur les réussites de leur vie, leurs échecs. Aucun des personnages ne supportent que Matt se complaise dans sa vie faite d’échecs. Parce qu’il est blanc, parce qu’il est hétérosexuel, parce que c’est un homme, il se doit, au nom de la société, de réussir sa vie. Parce qu’il a tout pour réussir, pour trouver un travail, parce qu’il est privilégié par nature en somme, mais les choses ne sont pas si simples. Le troisième acte est digne d’une pièce de Nathalie Sarraute, je pense à « Le Silence » où l’absence de réaction d’un personnage va faire perdre le control aux autres. Ici c’est parce qu’ils se projettent dans la vie de Matt, parce qu’ils sont terrifiés à l’idée que ce « fail » aurait pu être le leur que ses frères font tout pour lui montrer le chemin de la réussite, de leur propre vision de la réussite.

Les acteurs sont à l’image de la mise en scène, précis, justes, et donnent à leur personnage une impression de réalisme troublante, tant et si bien qu’on se croirait parfois au cinéma. La fragilité du personnage de Matt, incarné par James Stanley, sur le fil, dans la retenue est bouleversante.

Sans jamais faire de misérabilisme, sans jamais mettre l’accent sur les minorités opposées à ces hommes blancs hétérosexuels, Young Jean Lee réussit un huis clos psychologique qui met en scène des personnages tellement éculés qu’on avait presque oublié de s’interroger sur ce qu’ils étaient. En évitant les stéréotypes, mais avec une précision dans le réalisme, c’est un moment de théâtre troublant et émouvant qui nous est offert à travers le portrait de ces quatre hommes privilégiés, mais faibles, comme tous.

DEUX REINES SUR LE BOULEVARD !

Depuis la rentrée, elles règnent sur le boulevard : Saint-Martin pour l’une, Montmartre pour l’autre. Chacune en son palais, le Théâtre de la Porte Saint-Martin et le Théâtre des Variétés. Sacrées par un public fidèle à l’une comme à l’autre, certains sujets vont sans vergogne d’un royaume à l’autre, unis par le parti d’en rire.

Chantal Ladesou et Isabelle Mergault sont sans contestation les reines du boulevard français. Genre aux codes éculés, poussiéreux et ridicules vous diront certains, mais force est de constater que ces deux comédiennes remplissent les salles d’éclats de rire. Sans doute parce qu’elles font du boulevard comme on monterait un Molière au Français.

Il y a deux ans elles avaient tenté (avec succès) une monarchie à deux têtes dans Adieu, je reste ! mais cette année, chacune à un bout du boulevard, elles règnent seule sur leur théâtre.

D’un coté Chantal Ladesou, riche avocate, adepte des pots de vins dont la défense des clients se base sur la taille de leur compte en banque. De l’autre Isabelle Mergault, ancienne star de la chanson sur le retour, capricieuse et un brin narcissique (et extrêmement sexy). Nos deux portraits de femmes détestablement adorables sont dessinés. Chez la première tout bascule le jour où sa fille lui annonce que les parents bio-écolo-végétaliens de celui avec qui elle compte partir au bout du monde, souhaitent la rencontrer. En plein XVIème arrondissement, il va être difficile de se faire passer pour une avocate altruiste portée sur l’humanitaire et surtout végétalienne ! Chez l’autre, changement de tableau, c’est l’infarctus soudain de son mari qui va faire basculer sa vie. Après l’enterrement, celui-ci revient hanter les jours de celle qu’il trompait, celle qui ne l’aimait plus non plus d’ailleurs, pour se faire pardonner, condition d’entrée au paradis. Mais avec son orgueil mal placé, et peut être aussi parce qu’elle n’a pas tout à fait envie qu’il la quitte, la starlette va avoir du mal à pardonner.

Canapé au centre de la scène, portes qui claquent, éléments indispensables au boulevard sont dans ces deux spectacles merveilleusement bien utilisés. Deux boulevards qui assument les codes du genre pour mieux en rire. Deux sujets très différents, mais dans les deux cas tordants. Et ne nous cachons pas plus longtemps derrière la dramaturgie, le plaisir premier de ces deux pièces, c’est de partager un moment avec ces deux Reines !

Nelson avec Chantal Ladesou au théâtre de la Porte Saint-Martin et Ouh-Ouh ! avec Isabelle Mergault au théâtre des Variétés.

LE BAL DES VAMPIRES – ROMAN POLANSKI – THÉÂTRE MOGADOR

Plus de 50 ans après avoir vampirisés les écrans de cinéma, les vampires sont de retour, sur scène, au théâtre Mogador. Roman Polanski assure la transition de son propre film du cinéma à la comédie musicale. On retrouve dans cette version tout le comique d’exagération des codes du genre qui a fait le succès du film transposé à la comédie musicale, pari réussi ?

Stage Entertainment s’est imposé en quelques années comme la référence française en matière de comédie musicale. Cabaret, Mamma Mia!, Le Roi Lion, entres autres ont été de francs succès salués par la critique autant pour leur production digne de Broadway que pour leur adaptation française des chansons. Le Bal des Vampires ne déroge pas à la règle et nous offre des décors somptueux et un travail remarquable sur la lumière. On apprécie, comme toujours, l’orchestre live ; une tradition du musical de Broadway, trop souvent négligée en France.

Le casting est lui aussi impressionnant, les voix puissantes de Rafaëlle Cohen (Sarah) et Stéphane Métro (Comte Von Krolock) font battre notre cœur sur la reprise en français du titre de Bonnie Tyler Total Eclipse of the Heart. Le duo comique David Alexis (Professeur Abronsius) et du très jeune Daniele Carta Mantiglia (Alfred) fonctionne très bien. Enfin second rôle, mais vocalement remarquable, Moniek Boersma (Magda) nous fait oublier le reste de la scène lorsqu’elle ouvre la bouche.

Roman Polanski signe de belles trouvailles de mise en scène, extrêmement bien réglées, comme ces « miroirs » où seuls les vivants se reflètent. L’utilisation de la vidéo est sobre et n’étouffe pas les acteurs et les changements de décors par superpositions de cadres se font tout en fluidité. Seulement malgré une esthétique scénique très réussie, le spectacle souffre d’un livret très faible qui ne permet pas toujours de comprendre la suite logique entre les différentes scènes pourtant simple. Le visionnage du film de 1967 semble par moment un prérequis presque indispensable au suivi de l’histoire.

L’humour très présent dans ce spectacle ne va malheureusement pas assez loin. L’aspect parodique du film disparaît et au lieu d’assister à un spectacle qui assume la parodie d’un genre on a parfois l’impression que c’est le genre qui souffre de ses propres codes dramaturgiques. On rit, tout de même, aux allusions sexuelles propre à la dimension érotique de l’univers des vampires.

Malgré ces quelques points négatifs au niveau dramaturgique, Le Bal des Vampires reste une grande et belle production comme on en voit peu en France. Le professionnalisme de l’équipe créative et l’excellent casting, ainsi que le visuel méritent le déplacement !

COUP DE GUEULE : SOUTENIR LES INTERMITTENTS OUI ! LA CONNERIE NON !

« VOUS TROUVEZ QUE LA CULTURE COÛTE CHER ? ESSAYEZ L’IGNORANCE… »

Une bien jolie phrase, maladroite, que le TGP affiche fièrement sur sa façade. Défendre le régime des intermittents du spectacle est bien entendu normal pour nous tous qui gravitons autour des salles de spectacles maintenues sur pieds par les « intermittents ». Mais il y a l’art et la manière de le faire. Et on peut dire que le TGP se tire une balle dans le pied.

La formule est forte, la formule fait choc, et lorsqu’on visite le site internet du théâtre, et qu’on s’attarde sur les lignes qui l’accompagnent, on ne peut qu’être d’accord :

« Défendre l’intermittence n’est pas une lubie, une lutte corporatiste ou de privilégiés, c’est défendre cette idée, que la culture participe, à son endroit, à faire changer le monde autrement que sous le seul angle économique ou efficace. »

Jean Bellorini et son équipe ont cependant oublié l’emplacement géographique de leur lieu culturel.

N’ont-ils pas pris le temps de la réflexion avant d’écrire ce message ? Sont-ils à ce point déconnectés du monde réel, enfermés dans leur bulle théâtrale subventionnée pour n’avoir pas vu qu’autour d’eux, qu’autour de ce théâtre, en plein cœur de Saint-Denis, la plupart des habitants ont tout juste de quoi vivre et n’ont pas les moyens d’aller au théâtre ? « ESSAYEZ L’IGNORANCE… » Mais à qui s’adresse ce message ? Sans doute pas aux habitants du quartier, pourtant ce sont eux, qui chaque jour, se prennent cette insulte au visage. Toutes celles et ceux qui n’ont jamais franchi les portes du théâtre Gérard Philippe, ou d’un autre lieu culturel, se sentiront traités d’ignorant ! Auront-ils après ça l’envie de venir jusqu’au théâtre ? J’en doute.

La médiation culturelle est déjà difficile, faire venir au théâtre chaque jour un public plus large est devenu en ces temps de crise une mission presque impossible. Mais si en plus, les directeurs des centres nationaux ne voient le monde que par le prisme culturel, qu’ils oublient tous ces « ignorants », ces gens pour qui la culture n’est pas la préoccupation première au quotidien, alors c’est la culture qu’ils flinguent, avec les intermittents.

N’oubliez jamais que lorsque notre sphère culturelle pourtant si protégée est attaquée, c’est qu’en dehors, les choses vont bien plus mal.

LES NÈGRES – JEAN GENET / ROBERT WILSON – ODÉON THÉÂTRE DE L’EUROPE

D’un coté Robert Wilson, metteur en scène à l’esthétique reconnaissable entre mille, de l’autre, un expert des jeux de rôles et de masques Jean Genet. Les Nègres signe la rencontre scénique de deux génies du théâtre au théâtre de l’Odéon.

Les uns après les autres, les comédiens entrent dans cette façade de bâtiment aux allures africaines. À l’intérieur un cabaret burlesque, onirique, colorés. L’esthétique de Wilson immédiatement s’installe tant l’image est belle. Vision fantastique de ce que ces nègres voient de leur jeu de rôles, costumes impeccables, un rien clownesques, un peu de récupération (le plumeau du général est un pinceau à brosse).

Parler d’un spectacle de Wilson est un exercice difficile tant les images qu’ils laissent semblent sorties de notre propre imaginaire. Dans une mise en scène presque figée tout est en mouvement, tout change, en restant à sa place dans ce tableau à l’équilibre parfait. De ce spectacle il ne reste qu’une image fixe, qui semble nous avoir parlé. Seul le maître du jeu, lorsqu’il sort du cadre de scène et empoigne un micro, bouleverse cette image en deux dimensions.

Restitution apolitisé et anthropologique d’une pièce sur ce rituel quasi théâtral du jeu de rôles dans les colonies françaises. Wilson évite magistralement toute la question politique pour se concentrer sur ce qui l’anime : le jeu, le théâtre.

IDIOT! PARCE QUE NOUS AURIONS DÛ NOUS AIMER – VINCENT MACAIGNE – THÉÂTRE DE LA VILLE

Vincent Macaigne avait explosé il y a 3 ans à Avignon avec son beau cadavre, détonante réécriture d’Hamlet. Avec Idiot ! parce que nous aurions dû nous aimer, adaptation libre de L’Idiot de Dostoïevski, présenté au théâtre de la ville dans le cadre du festival d’automne, le metteur en scène affirme sa signature scénique.

Il bouleverse notre rituel théâtral, fait commencer le spectacle dans la rue, dans le hall du théâtre, dans la salle. Le programme de salle ne servira qu’à s’éventer dans la chaleur étouffante du théâtre de la ville transformé en une assourdissante boite de nuit, en fin de soirée. Certains spectateurs acceptent le jeu et vont danser sur scène, d’autres cherchent maladroitement leur place dans ce drôle de bordel. C’est agaçant, on a envie de lui dire « Laisse le spectateur tranquille ! », mais même sans y participer on finit par accepter cette ambiance imposée.

Ceux qui auront vu ses précédents spectacles retrouveront les codes qui ont fait sa patte. Costumes ridicules, monologues hurlés, faux sang, anti-théâtre ou métathéâtre, bâches de protection pour les premiers rangs, bref, le medium a peu changé, mais force est de constater qu’il conserve son efficacité. En confrontant le texte à l’actualité, en confrontant deux époques, Macaigne fait entendre toute la puissance d’un Idiot qui avec le temps n’a pas changé.

A l’entracte comme au salut final, à l’image de sa mise en scène, les propos ne sont pas en demie mesure, « Je déteste » et « J’adore », certains s’empressent de se lever pour applaudir, d’autres s’empressent de se lever pour partir. Macaigne a le mérite de nous bousculer, d’aller au bout de ses idées, le spectateur est provoqué. Merci.

RODÉO PROTOCOLE au Théâtre de la Reine Blanche – LES RÉVEILLÉS

Et si le théâtre ne servait finalement à rien ? Et qu’est ce que le théâtre ? Pourquoi faire du théâtre ? Pourquoi être un spectateur de théâtre ? Toutes ces questions font sens à quiconque à un jour mis les pieds dans une salle de spectacle. Toutes ces questions, Mathilde Issaad, l’auteure de Rodéo Protocole se les est posées. A-t-elle trouvé la réponse à ses questions, pas sûr, mais de cette réflexion est née une pièce aussi rapide et entrainante qu’un brain storming, divaguant d’une théorie à une autre sans jamais oublier sa problématique principale : pourquoi je fais du théâtre ? Difficile de résumer ce joyeux bordel théâtral, disons simplement que les personnages (en quête d’auteurs ?) sont malmenés par une diabolique machinerie métathéâtrale où les strates identitaires se superposent et s’entremêlent, où l’auteur est maître de tout ce qui se passe sur scène, ou du moins pense l’être. Tessa Bazin mets en scène ce texte sans jamais se perdre dans cet imbroglio de questionnements. Si le texte est truffé de références aux classiques théâtraux, la mise en scène n’est pas en reste avec des effets spectaculaires dignes d’une mise en scène de Joël Pommerat mais à budget réduit complètement assumé. Loin d’être une réflexion pompeuse sur l’art du théâtre, c’est avec beaucoup d’humour et d’autodérision que nous sommes, nous spectateurs, invités à prendre du recul sur cet art ancestral qu’est le théâtre. Seul bémol, car il en faut bien un, on reprochera seulement à cette jeune troupe de prendre à parti le spectateur un peu trop souvent, mais il s’agit là d’une question personnelle, certains spectateur se sentiront gênés, d’autres « spectacteurs » seront ravi de participer à cet élan d’énergie déployé par des jeunes acteurs prometteurs sur scène.

LE ISHOW À L’USINE C – LES PETITES CELLULES CHAUDES

L’espace virtuel est devenu pour chacun un espace de jeu, de mise en scène, de représentation. Chacun devient metteur en scène de sa propre vie et l’expose sur la grande scène 2.0 face à un public insoupçonné plongé dans la pénombre. Le iShow à l’Usine C nous propose de participer à une expérience de réalisation de cet espace virtuel. Donner du corps aux données web : une expérience troublante.

Les petites cellules chaudes est un collectif encore jeune, qui tente de s’éloigner de tout ce que le théâtre contemporain nous a déjà proposé. La troupe invente une nouvelle forme de théâtre, une nouvelle forme dramaturgique. Le iShow, leur première création nous plonge dans un grand laboratoire informatique : une quinzaine d’acteurs sont attablés devant leur MacBook, ils ne se parlent pas entre eux, ne se regardent pas entre eux, et pourtant ils communiquent… avec le monde entier via chatroulette. Les images de leurs ordinateurs sont tour à tour projetées au dessus d’eux sur grand écran. Chaque soir le groupe d’acteurs nous offre un petit tour du monde à travers l’œil des webcams. Le spectateur ressent de la gêne, de la gêne pour ces individus qui s’exhibent sur internet devant leur webcam mais qui ne savent pas que soudain c’est 150 personnes qui les regardent à travers leur webcam.

Passés l’effet de surprise et le coté ludique de l’improvisation sur chatroulette, qui est un spectacle en soit qu’on peut regarder en petit groupe chez soi, les acteurs font appel à la mémoire collective, en rejouant des scènes de vidéos qui ont fait le buzz sur internet. Autant dire que le spectateur profane ne comprendra rien à ce qui se passe sur cette scène. C’est drôle, on s’amuse, on rit beaucoup, puis vient le pathos avec les déviances d’internet et on ne peut s’empêcher de penser qu’un spot de publicité pour la prévention sur les risques d’internet n’aurait pas fait mieux. On tombe dans la facilité, on provoque le spectateur en lui parlant de vidéo telle que celle de Luca Rokko Magnotta, ou encore en lui montrant des scènes d’exhibitions, de filles et de garçons qui offrent un show pornographique virtuel en échange de quelques jetons acheté par carte bleue.

Oui internet est une immense plaque tournante du sexe 2.0, oui avec facebook je peux connaître la vie de mon voisin en quelques cliques, oui nous savons tout ça car tous les jours la presse fait cas des problèmes de confidentialités de nos donnés sur internet, des problèmes lié à la pornographie chez les mineurs. Pourquoi vouloir se faire moralisateur d’une chose dont on connaît déjà les méandres ?

Amener internet sur la scène du théâtre et une excellente idée, rendre acteurs d’un soir des individus du monde entier est une expérience troublante proche de la performance théâtrale et demande à être exploité d’avantage. Le iShow mérite d’être vu pour son aspect novateur, pour la performance. Les petites cellules chaudes ont ouvert ici une nouvelle voie au théâtre contemporain qu’il ne faut pas sous estimer. Mais dénoncer les dérives d’internet en utilisant internet est finalement un peu redondant. Il y a dans la forme utilisée pour le iShow matière à développer bien d’autres sujets. Oui pour la forme, non pour le fond.